Ce mardi matin, Gonolek se lève à l’aube, car c’est aujourd’hui qu’elle quitte sa ville natale pour la première fois. Elle prend un solide petit-déjeuner, ferme la porte de sa petite maison toute neuve, et part le cœur léger. Car Pharaon fait régner la paix dans le pays et les routes sont sures, pas de risque de mauvaise rencontre avec des détrousseurs de voyageurs.
La route suit les berges du Nil, elle contemple tout avec émerveillement, les felouques lourdement chargées de marchandises qui naviguent sur le fleuve, les champs où s’affairent les fellahs, les ateliers, où les artisans fabriquent les objets quotidiens ou luxueux, toute cette vie intense et paisible à la fois démontre la prospérité d’Egyptis.
Aux heures les plus chaudes, elle fait halte dans une palmeraie, des paysans lui offrent une pastèque juteuse et sucrée. En fin d’après-midi, elle aperçoit les faubourgs de Memphis, elle ne s’imaginait pas qu’une ville puisse être aussi grande. Elle se met en quête d’un gîte pour la nuit, elle passe devant l’imposante Ecole du Kep où elle reviendra peut-être étudier un jour, en attendant elle décide de terminer sa soirée dans une taverne, quel meilleur moyen pour faire de nouvelles connaissances ?
En cherchant la Taverne du Pêcheur, dont on lui avait dit le plus grand bien, elle découvre un grand prodige qu’elle ne peut expliquer, mais qui prouve bien la nature divine de Pharaon: elle peut entrer dans la taverne de MeÏdoum! Elle s’y précipite pour retrouver l’ambiance familière dont elle avait déjà la nostalgie. Quelques heures plus tard, elle en sort pour pousser la porte de la taverne locale, les trois clients présents l’accueillent avec une grande gentillesse, il y a le vice-nomarque et une jeune femme qu’elle a déjà rencontré à L’Oie qui Chante, la discussion est animée et c’est à une heure avancée de la nuit qu’ils se quittent.
Le lendemain, elle fait un tour au marché et tombe arrêt devant de superbes poissons, bien moins chers qu’à Meïdoum, elle qui raffole du poisson en déguste un sur le champ, et elle se promet d’en ramener une petite provision chez elle. Elle remarque aussi un vendeur qui a des sacs en lin bon marché. N’est ce pas là une occasion de s’exercer au commerce, et de compenser une partie des journées de travail perdues dans ce voyage ? elle décide de se lancer dans cette opération.
Puis elle se rend à la roselière, elle ne doit pas perdre de vue que dans ce but qu'elle a entrepris ce voyage.
Le soir, elle reviens à la taverne du Pêcheur, où, outre ses amis de la veille, elle rencontre la nomarque Lilouma , elle fait ses adieux, puis un petit passage à l’Oie qu Chante et au lit.
On est déjà jeudi, jour du retour à Meïdoum, Gonolek retourne à la roselière récupérer les roseaux coupés la veille. Mais ils sont introuvables, elle cherche partout, ne comprend rien. Un vieil homme l’observe d’un air goguenard, il l’interpelle : « Hé ma petite dame, je vous ai vue, hier matin, mais à peine arrivée, vous vous êtes allongée sous un arbre et vous avez dormi jusqu’au soir ! » Alors là, elle est stupéfaite ! elle ne s’en souvient même plus. C’est vrai que la tournée des tavernes jusqu’à pas d’heure, cela fatigue, mais à ce point ! Bon pas question de rentrer à Meïdoum les mains vides, il faut rester un jour de plus. Furieuse contre elle-même, elle s’attelle à la tâche et coupe sans relâche jusqu’au soir.
Le programme de la soirée tourne au rituel, c’est à dire tournée des tavernes, nouveaux adieux aux memphites avec promesses de retrouvailles et repos, bien mérité cette fois.
Le voyage est plus pénible que celui de l’aller, à cause de son lourd chargement de roseaux. Le soir, elle pénètre dans sa ville avec une escorte peu glorieuse, après une journée de marche en plein soleil, les six poissons qu’elle transporte dans son baluchon exhalent un fumet si puissant que tous les chiens galeux et les chats faméliques croisés sur la route lui ont emboîté le pas. Et c’est sous les quolibets des gamins que Gonolek regagne sa maison.
Le lendemain matin, en faisant les formalités pour ses sacs de lin, elle a une mauvaise surprise, la taxe douanière est passée la veille de 0,10 à 0,25 debens. Elle perd tout espoir de réaliser le joli bénéfice escompté, bien au contraire, elle a englouti une bonne part de ses économies pour une quantité de sacs qui risquent de lui rester longtemps sur les bras. Bon, il faut payer pour apprendre, se dit-elle avec philosophie, et ce voyage, c’est avant tout une moisson de bons souvenirs.